Bonjour à toutes et à tous.
Je m’appelle Aurore, 28 printemps, et l’envie me prend ce matin de vous raconter un peu ma vie.
Voilà un peu plus d’un an que j’ai tout pour être heureuse : un mari en or, une nouvelle vie à Tahiti, des amis fantastiques…
Décembre 2012, v’là-ti pas que je me mets à faire de l’eczéma tout partout, le genre de truc qui réveille la nuit et qui rend dingue ; ayant une peau à tendance atopique, je ne m’alarme pas, je vais voir un dermato, corticoïdes, et roule ma poule. Début Mars 2013, je remarque une grosseur à l’aisselle : je mets cela sur le compte d’un bouton post-épilation. Encore une fois je ne m’alarme pas : comment pourrais-je en être capable alors que j’ai toujours eu une santé de fer et que j’ai toujours salué la robustesse de mon corps?
Constatant que cette grosseur ne partait pas, je me décide finalement à aller voir un médecin : j’ai eu du nez ce jour-là. Après une semaine passée sous antibio (je lui avais exposé ma théorie épilatoire) sans aucune diminution de cette masse, il se met à me parler d’adénopathie (atchoum!) et m’envoie faire prise de sang, échographie et radio des poumons. La radio je ne comprends pas : wouhou, c’est à l’aisselle qu’il est mon adénomachin! Si j’avais su…
La radio révèle une opacité suspecte : c’est là que je commence à psychoter dans le dedans de moi-même. Je me renseigne et repousse d’emblée la théorie du cancer. Je n’oublierai jamais la conclusion de mon premier scanner : “suspicion de lymphome”. C’est là que je me suis écroulée… Biopsie de mon ganglion, biopsie de moelle osseuse… Et mon spécialiste qui m’annonce Hodgkin. Mince, j’étais persuadée d’avoir un lymphome non-hodgkinien! La première chose qu’il me dit suite à cette annonce, je m’en souviens mot pour mot : “c’est relativement aisément curable”. Ensuite il me propose des vacances en Nouvelle-Zélande : oui parce qu’à Tahiti, on ne fait pas les pet-scan. Je m’envole donc pour Auckland pendant 5 jours, prise en charge à 100% par la sécu de Tahiti. Je rencontre mon hématologue à mon retour, qui m’annonce un “gentil stade IV” : localisation extra-ganglionnaire (poumons) certes, mais tout est au-dessus du diaphragme. J’accueille sereinement la nouvelle sur le moment. Je préviens d’emblée la maladie : je vais lui faire la peau. Je fais les cent pas dans mon couloir, je lui parle, la défie, l’insulte. J’ordonne à mon cerveau d’ordonner à mes cheveux de rester sur mon crâne. 16 chimios prévues (ABVD), je commence le 26 Avril. Une amie m’accompagne (j’ai forcé mon mari à aller se changer les idées au travail), et cette fille devient ce jour-là ma sœur de cœur : c’est elle qui me tient la main lorsque l’infirmière inaugure mon port-a-cath. Le lendemain je fais la maline, je me sens très bien… jusqu’au moment où le corps refuse de tourner. Repos donc, mais 3 jours plus tard, c’est comme si rien ne s’était passé : mon estomac est apaisé, mes jambes me soutiennent, je peux même aller à mon cours de danse tahitienne!
De chimios en chimios, je ramasse à chaque fois davantage, un peu plus fort, un peu plus longtemps ; mais je retourne toujours danser. Je constate bien que je fatigue beaucoup plus rapidement, mais cela ne m’empêche pas de faire du sport. Parce que je me suis promis à l’annonce de ma maladie de vivre ma vie comme si elle n’était pas là. Bien sûr, il y a cette colère en moi, contre ce corps qui m’a trahi, ces larmes de rage et de frustration, ces larmes de peine également lorsque je pense à mes parents qui sont à l’autre bout de la Terre, qui meurent d’envie d’être près de moi mais qui ne le peuvent pas : eux aussi ont leurs soucis de santé, et même s’ils vont bien malgré tout, le voyage leur porterait préjudice. Je leur interdis de venir du coup.
15 Juin, retour en NZ. Je pars avec ma copine de chimio, une jeune hodgkinienne aussi. On fait nos touristes, on goûte les bières locales, on monte tout en haut de la Sky Tower, on fait les boutiques et on en oublie presque notre pet-scan. De retour à Tahiti, mon hémato m’annonce avec satisfaction que je fais partie des 80% de gens qui répondent favorablement au traitement initial : et là, elle me sort que toutes mes tumeurs ont non seulement diminué considérablement de volume, mais qu’en plus elles sont toutes inactives. Toutes. Elle me précise qu’on continue la chimio pour les faire disparaitre, et que ces résultats sont excellents. Je serai renvoyée en NZ début Octobre, après ma 12e séance, et… on verra bien.
Récemment j’ai croisé le chef de mon homme, et j’ai reçu le plus beau compliment qu’on puisse me faire en ce moment : “lorsqu’on te voit, on ne peut pas s’imaginer que tu es malade”. Merci, je me bats pour cela depuis 3 mois maintenant. J’ai commencé à perdre mes cheveux, en toutes petites quantités : assez pour que je le constate, pas assez pour que cela se voit. Je mène une vie normale. Je suis et reste avant tout une femme et une épouse, non une malade. J’ai conscience d’avoir une chance inouïe à tous les niveaux.
Je sais que certains d’entre vous ne vivent pas la maladie aussi bien que moi. Et il y a tellement plein de facteurs qui interviennent dans la manière dont on gère tout ce tsunami! Ainsi je veux juste vous dire, à vous tous, que oui, la vie peut être belle. Et que si pour vous elle ne l’est pas, je vous envoie toute ma force, tout mon “mana” comme on dit ici à Tahiti. Pensés amicales à tous les héros de l’ombre que nous sommes.